Au début, j’appréhendais cette cohabitation avec ma mère. D’une part parce qu’à mes yeux, aveuglés par cette lueur de perfection trop parfaite pour être vraie, d’une grande fille partie de la maison qui ne peut pas, qui ne doit pas revenir, par cette charge d’échec que porte ce retour au bercail, à la case départ, mais aussi par peur de retomber en mode liberté contrôlée, surprotégée, surveillée, je craignais cette vie au quotidien avec celle qui m’a donné le jour.
En fait, il n’en fut rien.
Accueillie non sans être questionnée, mais accueillie tout de même. Saisis-tu toute la portée de ta décision ? Oui. Définitivement oui. Irrémédiablement. C’est dur, c’est lourd à porter, c’est un imposant défi à relever, mais je survivrai. C’est ma vie. C’est mon choix. C’est la voie qu'il me fallait emprunter. Et qui sait, il s'agit peut-être la claque en plein visage qu'il me fallait.
Accueillie, physiquement et familialement, si je peux m'exprimer ainsi. Chérie, ouatée, épaulée. Je n’en demandais pas tant. Je n’y suis plus habituée, je ne me sens plus capable d’être logée et nourrie sans rien donner en retour. Raison pour laquelle ce ricochet momentané vers le lieu qui m'a vu grandir ne s'éternisera point.
Autour de moi, on ne comprend pas. On me fixe, je me sens transpercée par ce point d'interrogation dont la réponse se trouve ailleurs. Pourquoi n’en profites-tu pas ? Tu n’as pas de loyer à payer, fais-toi un petit coussin, réfléchis, pense à toi, à ce que tu désires. Tu n’as pas à te presser. Reste un peu à la maison.
Or, je n’aime guère cette expression, profiter de. À mon sens, il s'agit d'un verbe trop péjoratif pour être utilisé dans un tel contexte. Je ne veux pas profiter indéfiniment de cette ouate, je veux voler de mes propres ailes. Cesser de vivre aux crochets d’une personne, malgré tout le support moral, affectif, financier et matériel que cela me procure. Le confort finit par me perdre.
Rester un peu à la maison. Quelle est-elle, ma maison ?
J’ai l’impression de vivre sans véritable adresse depuis deux mois. Ici n’est pas chez moi...
***
Il y a certes de bons côtés à la cohabitation avec une personne qui se soucie de mon bien-être.
Mercredi soir, je devais accompagner chéri dans l’achat d’un nouveau matelas, mais apparemment, mon corps en avait décidé autrement. Je suis revenue relativement tôt en soirée, souffrant de nausées fort incommodantes et d'un mal d'estomac persistant. Une sensation de malaise ininterrompue avait pris possession de mon corps depuis la fin de l’après-midi. À mon arrivée, ma mère trouvait que j’avais le teint vert, livide. Au sens propre comme au sens figuré. Elle m’a fait boire un peu de boisson gazeuse et m’a fait prendre un comprimé de Gravol. Je me suis couchée tôt, l'esprit tranquille. Je savais qu’elle n’était pas bien loin et que si je me sentais mal à nouveau, je pouvais cogner à sa porte pour y chercher un peu de réconfort.
Bientôt, ce sera différent. J’habiterai seule, pour la première fois en plus de 27 années d’existence.
Je suis pourtant de nature solitaire. Je l’ai toujours été. J’ai besoin de silence, de me retrouver seule, j’ai cet impérieux besoin de moments de solitude. Moments salutaires qui m’éloignent du tourbillon humain dans lequel je me noie parfois. C’est entre autres ce qui m’a poussée à partir seule pendant quinze enrichissantes semaines lorsque j’ai effectué un stage en sol belge en 2005. Partir à la conquête d’un je ne sais quoi que je ne trouverais qu’en moi.
Mais, cette forme de solitude sera plus totale, plus entière, je devrai l’apprivoiser, comme un animal farouche qui n’est pas habitué au contact humain. Comment la vivrai-je, cette solitude ? Je me sais indépendante, et forte à ma manière malgré toutes mes failles et mes faiblesses. Toutefois, et je le confesse à demi-mot, cette aventure me plonge dans une nouveauté qui m’effraie quelque peu. Je ne crains pas le changement, je crains l’échec, les faux pas, l’erreur.
Je ne vois cependant pas poindre une lueur d'échec à l’horizon. J’entrevois des moments pénibles au loin, mais des jours heureux aussi. Surtout. Le jour se lève sur une nuit obscurcie à outrance par les incertitudes d'une vie soudainement vaine. Cette vie espère maintenant se redresser, marcher, aller de l'avant.