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mercredi, janvier 31, 2007

Chroniques d'un départ inoubliable

Il y a quelques jours, j'ai débuté la lecture d'un roman d'Alice Steinbach (une traduction de l'américain, en fait): Un matin je suis partie.

Je l'avais acheté pour le titre, d'une part. Pour ce qu'il évoquait. Pour ce que me rappelait l'image sur la couverture: une femme dans un train, la liberté, la découverte de lieux merveilleux mais aussi la découverte de soi. Pour les souvenirs soudainement mobilisés dans mon inconscient, qui défilaient, à la fois vagues et étonnamment précis.

D'autre part, le résumé avait piqué ma curiosité. Je dois dire qu'à date, je prends plaisir à lire ce roman. Je le savoure par petites bouchées, comme un excellent gâteau dont on ne veut pas voir (ou manger!!) la fin. À plusieurs égards, ce bouquin me ressemble. En de maintes occasions, je me suis sentie interpellée par certains passages - et parfois violemment - et les émotions émergeaient sans que je puisse les retenir. Surtout lorsqu'Alice (l'auteure est aussi personnage principal du roman) raconte son départ. Frénésie et appréhension. Je sentais qu'elle racontait mon départ à moi, j'avais l'impression d'être ces mots imprimés sur ces feuilles, ces phrases qui donnent un sens à cette histoire, d'être un peu ce personnage, quoi.

***

Flash back. Première moitié du mois de février 2005.

Réponse positive. Je jubilais!

Depuis plusieurs mois, l'attente me rongeait. La responsable des stages de la maîtrise en muséologie avait fait parvenir plusieurs semaines auparavant une demande de stage à quelques musées de mon choix. Dès les premiers jours de l'année scolaire, ma décision était prise. J'allais partir en Belgique. Je n'avais pas encore sélectionné les institutions qui m'intéressaient, et pourtant je savais. Je savais que la Belgique m'appelait, je savais que je devais partir.

J'ai d'abord dû essuyer deux refus, pour des raisons de logistique - raisons parfaitement justifiées, mais désolantes. Désolantes sur le coup.

Quelques jours avant mon 25e anniversaire de naissance, la responsable du département Éducation/Communication du Musée de Louvain-la-Neuve a répondu favorablement à ma demande.

Le début de l'aventure.


Ce semestre d'hiver 2005 a sans conteste été le plus ardu de tous. Des cours particulièrement complexes, des exigeances fort astreignantes, des travaux fastidieux et réunions d'équipe étourdissantes, des professeurs intraitables, et tutti quanti. Je devais profiter des rares minutes de répit au cours d'une semaine pour remplir paperasse et formalités, renouveller mon passeport, rendez-vous à la Caisse Pop, à l'Université, rédaction de documents officiels, demandes de bourses, demande de prêts, trouver un endroit où loger, lire et relire les informations dénichées ici et là, achat du billet, carte de ci, carte de ça ... Ouf!

Les deux semaines précédant mon départ, j'ai peu dormi. Je me couchais aux petites heures du matin, et me levais très tôt, souvent bien avant 6h00, afin de fignoler tous mes travaux de fin de session. Je mangeais peu, j'étais tendue, j'avais perdu quelques kilos, j'étais claquée, je carburais au café et j'avais l'impression d'être dépossédée de mon corps et de mon esprit. Puis est arrivé le 21 avril, dernier jour du semestre.

Je partais le 26. Entre temps, dîner avec une copine, fête de départ avec ma famille, déjeuner avec la belle-famille, souper avec un couple d'amis, terminer divers dossiers en suspens au travail, derniers préparatifs de départ, les valises, achats de dernière minute, quel temps fera-t-il à mon arrivée, ai-je tous les produits dont j'ai besoin, dois-je échanger plus d'Euros, mes valises sont trop lourdes, je dois les délester un peu, ce livre dans le bagage à main, une dernière fois je jette un coup d'oeil pour m'assurer que rien ne manque.

J'étais crevée. Je n'avais presque plus envie de partir.

Ma mère et Yannick m'ont accompagnée à l'aéroport.

J'ai toujours aimé les aéroports. Ces lieux débordent d'émotions. Fébrilité du départ, des adieux et des retrouvailles. J'aime l'atmosphère bouillonnante qui se dégage de ces terminaux aéroportuaires.

Nous avions encore quelques minutes devant nous. Ma mère tenait à ce que j'avale un morceau, j'étais blême et je me sentais défaillir. Pourtant, mon estomac était noué. J'ai grignotté un bout de muffin, sans grande conviction. Nous avons parlé de tout et de rien, nous avons ri. L'émotion était palpable et bien que j'étais dans un état physique lamentable, dans ma tête aucun nuages ne venait assombrir le soleil. Malgré mon départ imminent, je crois que je ne me rendais pas encore compte de toute l'ampleur de cet instant unique de mon existence. Je rêvais de PARTIR. Depuis que j'avais 17 ou 18 ans, je désirais ardemment partir. Passer quelques mois en Europe. Partir. À ce moment, s'accomplissait enfin l'évasion ultime que j'idôlatrais depuis tant d'années, et pourtant, intérieurement, je ne ressentais pas encore l'urgence du départ.

Ce n'est qu'une fois dans la file d'attente me menant définitivement de l'autre côté, du côté du non-retour, que soudainement, toute la réalité de ce départ s'est abattue sur moi. J'ai regardé Yannick, puis ma mère. Je les sentais émus et il n'en fallait pas plus pour que j'éclate en sanglots. C'était comme si après tout ce temps, je réalisais enfin. J'allais partir. Trois mois et demi loin de ma réalité quotidienne.

Et j'étais, contre toute attente, profondément dévastée.

C'est en larmes que j'ai franchi le détecteur de métal, les escaliers roulants et les corridors me menant vers le petit salon où les passagers devaient attendre. Je me suis effondrée sur un siège, lourde comme si un million de souvenirs douloureux venaient m'accabler.

Une dame blonde, grassouillette, à l'âge indéterminé s'est assise non loin de moi. Avec elle, un petit garçon plein de vie et d'entrain - l'envers de ce que je devais refléter à cet instant précis. Elle me lançait oeillades et sourires consolateurs. Mes yeux rougis et ma mine défaite trahissaient ma détresse et je sens qu'à sa façon, elle tentait de me réconforter, mi-discrète mi-chaleureuse.

Puis, elle s'est adressée au garçonnet - alors à cet instant précis, j'ai su. Une Belge. Ce premier contact au-delà du point de non-retour était de bon augure.

Dans l'avion, les deux dames à mes côtés ont sans doute compris que je ne désirais pas m'entretenir de la pluie et du beau temps, alors elles m'ont laissée à mes pensées mélancoliques.

Mon Dieu, qu'ai-je fait?

En avion, j'arrive rarement à dormir, du moins pas d'un sommeil réparateur. Je somnole, tout au plus. Mais ce jour-là, les émotions étaient trop fortes, trop vives, trop lourdes à porter, elles me tenaillaient jusque dans les trippes. J'étais à bout, la plus infime parcelle d'énergie avait déserté mon corps et pourtant je n'arrivais pas à dormir.

Pourquoi, pourquoi je suis ici, pourquoi j'ai choisi de partir?

Je n'ai dormi qu'une vingtaine de minutes, à la toute fin du vol. Puis, d'éclatants rayons de soleil se sont engouffrés par les hublots. En Belgique, c'était le matin, très tôt. La lumière éclairait crûment les passagers. Nous clignions des yeux, soudainement aveuglés par cette éblouissante lumière. Apparition divine. Par le hublot à ma gauche, j'ai aperçu le toit des maisons, quelques points de verdure, le sol belge, enfin.

Tout à coup, toute la détresse et l'accablement s'étaient envolés. S'envolaient aussi au loin mes appréhensions tandis que nous atterrissions. J'étais en Belgique. J'allais réaliser mon rêve.


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